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Dédoublement…

Publié le par Asna

Quand je fixe ses yeux suffisamment, je découvre une lueur de sagesse timide, quand je regarde ses gestes corporels librement joués, je suis convaincue qu'il est totalement fou génétiquement. Il est l'homme sage, l'homme fou; l'homme à deux visages, deux cerveaux mais un seul cœur bien placé! Quand il parle de l'avenir des humains, de mon avenir surtout, de la condition humaine, des droits de l'Homme, de l'importance de la vie, du corps comme un temple à respecter; quand il parle de tout ça, il est sagement sage, mais seulement si on fixe ses yeux constamment! Car si on observe ses gestes, surtout ses doigts jaunis qui n'arrêtent pas d'écraser mégot après mégot après mégot; certainement il est fou.

Avant de le rencontrer j'avais beaucoup voyagé, mais seulement quand il m'a enfermée dans sa chambre de fou, que j'ai eu l'impression de voyager vraiment! Il m'a initiée à un autre mode de voyage: voyager en soi, se découvrir de l'intérieur, nier l'extérieur pour une fois; faire le vide en soi pour ne pas sentir la lourdeur du vide réel autour de moi. Devant ce tableau mal fait, je me perds momentanément. Je n'ai ni nom, ni visage, ni identité. Sa voix aussi devient de plus en plus faible, sa silhouette aussi maigrit sous l'attaque de la fumée de ses cigarettes puantes! Je n’entends plus qu’un murmure poétique chantant qui me berce l'âme et les sentiments.

Le temps des erreurs est remplacé par le temps des regrets maintenant, c'est alors que j'ai eu ma vocation: donner une voix aux marginaux, aux perdus, aux maltraités, aux faibles, aux incorrects, aux insuffisants. C'est une leçon à ne pas rater, un spectacle de fou vu seulement par des suffisamment fous! Il ne veut pas me convertir à sa fausse mais vraie religion! Il veut juste m'ouvrir une porte invisible à mes latentes forces, en sa présence. Sa chambre est magique, comme s'il y a un champ hypnotique qui m'attire au fond, au plus profond de l'abîme ténébreux où il vit majestueusement. Je découvre que je n'ai plus peur du noir! Je ne vais plus jamais refaire ma valise pour partir, ou la défaire une fois arrivée, pour la refaire encore au bout de quelque temps pour partir une autre fois! Le sable doré des plages lointaines ne m'attire plus, ni même le fantasme du sable noir au-delà des mers inconnues, ne m'excite plus! Pour la première fois, je suis là, et je suis totalement consciente d'être là.

Il ne sort de son royaume de fou, que pour aller se balader et errer dans les ruelles de l'ancienne ville jusqu'à l'épuisement; quelquefois même il lui arrive de suivre les enfants de la rue par hasard jusqu'à ce qu'ils le chassent aux coups de pierres! Moi je reste prisonnière dans sa chambre, comme un otage pour lutter contre la solitude, et quand il revient de ses flâneries nocturnes avec un diadème de certitude sur sa tête, le sourire au large du visage; une autre leçon de philosophie de fou commence! Il me semble qu'il est le dernier des hommes accomplis, virils, rebelles. Il vit toujours au-delà de la ligne rouge, en dessous de la comédie collective, en dessus de la vanité, de l'orgueil. Il n'a pas besoin de se faire remarquer, car il EST présent dans tous les fantasmes, il fait tourner toutes les têtes...Cette certitude d'être en dessus des êtres ordinaires, d'être hors du commun, d'être doué en tous les sens; est un paravent pour dissimuler la laideur de la paresse, certes, mais elle ne remplace pas la conviction d'être heureux de vivre à l'abri, dans le sous-sol à l'air lourd et pourri, pris au piège de la grandeur, coincé avec moi! Vivre totalement conscients qu'on vit un jour sans lendemain, que notre vie est désormais une mauvaise projection répétée sans arrêt jusqu'à la fin des temps.

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A
Bien fait<br /> well done asna
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